Mon rédacteur en chef m’ayant envoyée enquêter auprès des « mauvaise herbes » du Jardin des Berges, je me suis demander sous quel angle aborder le sujet. Pour ma part, je refuse ce vocable et préfère parler d’herbes folles… Après de longues heures assise sur une souche, j’ai réussi à convaincre un chiendent, il va répondre à mes questions.

« Herbe folle, Herbe folle ? Est-ce que j’ai une tête d’herbe folle ? Je te demande toi si t’as une tête d’humain dingue ?»

C’est ce que m’a répondu Chiendent lorsque je lui ai d’abord parlé du Blog… Puis après quelques précisions :

« Bon, d’accord, maintenant que tu m’as expliqué, je veux bien te l’accorder ton interviou ! De quoi tu veux qu’on parle ?...

Ce que je pense de la transformation de notre terrain vague en Jardin des Berges… Mouai, bien sur je m’en doutais…

Note bien, ce que je vais te dire, c’est pas pour polémiquer, mais… Voyons voir comment tourner la chose ?... Ben voila, on était bien plus peinards avant ! Là, je l’ai lâché comme je le pense !

…Pourquoi ? Ah, Ah, Ah ! Elle est bien bonne celle là ! Avant, on ne voyait pas un chat… Enfin si, des chats, on en voyait, et des souris et des serpents, et des oiseaux, et des scolopendres et des araignées et des pucerons, et des escarg… Bon t’as compris, je ne vais tout de même pas te lister l’Arche de Noé… Mais des humains, ça, on n’en voyait pas beaucoup, et surtout pas trop longtemps…

Y en avait bien quelques uns qui venaient, promenés par leurs chiens, et quelques autres qui passaient avec un long bâton décoré de fil et de crochets en fer, grandes bottes aux pieds, mais ils filaient vite dans la rivière… et puis quelques autres qui venaient « faire la fête » comme ils disaient…

Mais là, maintenant, c’est l’invasion ! Des humains, y en a partout, des grands, des moins grands, et des petits,… tout plein de petits… Ca va, ça vient, ça repart, ça revient, c’est toujours en mouvement des pieds… Tu ne peux pas imaginer comme c’est fatiguant à regarder des pieds qui se lèvent et se posent tout le temps… Moi, mes pieds, ils sont bien ancrés dans le sol, ils s’étalent, se répandent, mais ne se lèvent JAMAIS ! Quelle Horreur, T’imagines ça Pensée ? »

Une discrète fleur bleue, haute dressée sur son col, me regarde, méfiante, avant de concéder :

« Quelle horreur en effet… Je me présente, je suis Pensée Viola» Sa voix est douce et posée, mais une tension y est sensible. « Si vous le permettez, j’aurais aussi des choses à dire... » Comme j’acquiesce elle poursuit :

« A vrai dire, mes cousines les fleurs sauvages et moi en avons longuement débattu. Nous avons toujours été ouvertes à l’accueil des diverses plantes migrantes qui ont abordé notre terre, au fil du vent, des plumes d’oiseaux ou poils des animaux. Nous nous sommes toujours arrangées pour leur faire une place et beaucoup d’entre nous sont arrivés ici encore à la graine de souche exogène…

Ces derniers temps beaucoup d’humains sont venus et il nous a fallu faire place aux laitues, carottes, poireaux, artichauts, tomates et cucurbitacées en tous genres. C’est une joie et un enrichissement de les fréquenter, si ce n’étaient les humains… »

Il s’installe alors un silence pesant et je vois le chiendent frissonner d’effroi… La pensée sauvage, pardon Pensée Viola, reprend :

« Non pas que j’éprouve un sentiment de haine contre les humains, mais ils me font peur, incroyablement peur… En fait je ne les comprends pas…

Regardez-les, ils sont capables de belles choses, ils plantent arrosent et soignent pendant des semaines, parfois des mois les nouveaux végétaux. Ils les regardent les admirent, les flattent … Ils leurs parlent même parfois…

Nous autre d’ici, nous nous enrichissons au contact des nouveaux venus, nous apprenons leurs coutumes, et parfois même nous nous croisons… Si vous saviez le nombre d’histoires d’amour qui sont nées depuis votre installation… Tenez, c’est comme la Mouchetée de Salasc, cela faisait des générations qu’elle avait disparue d’ici. Quel bonheur de la revoir !…

Et, aller savoir pourquoi, un jour, sans crier gare, les humains sortent un couteau, un sécateur, une bêche… Puis ils tranchent, coupent arrachent nos nouveaux amis, les enfournent dans des sacs, ou des paniers et s’en vont le sourire aux lèvres…

Et le lendemain, les humains reviennent, mais nos amis, jamais… N’est-ce pas qu’il y a de quoi avoir peur ? »

Le soir tombant, et l’atmosphère du jardin devenant lourde, je sens qu’il est temps pour moi de mettre un terme à cet entretien. Le Chiendent et la Pensée ne diront rien de plus, plein de leur tristesse. Mais ils me laissent des questions pesantes comme un nuage à l’esprit… et une pensée : Combien il est parfois difficile de se comprendre lorsque l’on appartient à des mondes différents…

Françoise Lesage, Reporteur pour Jardiner à Lodève En direct du Jardin des Berges 4 mai 2011

NOTE DE LA REDACTION : Françoise s'est nommée spontanément journaliste du blog Jardiner à Lodève, et j'espère que tous les jardiniers vont faire de même ! Envoyer vos articles à lucilechesnais@wanadoo.fr. merci d'envoyer vos photos séparées des textes en jpg si possible, c'est plus pratique. (je me débrouille très mal avec les photos sur word).